Le grand détournement du rêve
Dans le vacarme des écrans mondiaux, l’âme congolaise cherche encore sa voix. Partout, des images étrangères s’imposent comme modèles : héros de pacotille, romances sans racine, libertés sans lien. Autrefois, on arrachait les bras à l’Afrique pour extraire ses richesses ; aujourd’hui, on lui arrache l’imaginaire pour nourrir les industries du rêve des autres. L’imaginaire de la jeunesse africaine a été colonisé deux fois – d’abord par les armes, puis par les pixels.

Les jeunes Congolais, avides d’expression, consomment des films venus d’ailleurs, qui les font rêver sans jamais les réveiller. Il regarde des écrans qui ne lui ressemblent pas. On lui vend l’idée que sa réussite commence quand il devient quelqu’un d’autre : un corps occidental, une voix étrangère, une conscience décentrée. Et quand ils cherchent à créer, ils imitent – parfois sincèrement, souvent inconsciemment.
Hollywood leur dicte le rythme, les mouvements sociaux leur dictent les discours. Mais au fond, ni l’un ni l’autre ne leur appartiennent vraiment. Le cinéma congolais du renouveau doit briser ce cycle. Non pas en rejetant le monde, mais en se réappropriant le droit de séduire par la vérité.
Mais le cinéma congolais qui vient ne doit pas chercher à copier le monde : il doit l’ordonner à sa propre lumière. Il doit naitre non pas de la nostalgie, mais de la lucidité : le Congo n’a pas besoin de se défendre contre le monde, il doit s’y insérer avec son génie propre. La jeunesse congolaise n’est pas désœuvrée : elle est désorientée par un imaginaire importé. Elle croit devoir imiter, alors qu’elle est appelée à inaugurer. Et c’est là que le cinéma entre en scène – non pas pour distraire, mais pour refonder l’idée même du possible. Le film devient alors non pas un miroir, mais une boussole spirituelle et civique, orientée vers un Nord qu’on ne trouve sur aucune carte.
Séduire pour reconstruire
Le monde change par les images qui séduisent. Par la maitrise absolue de l’image, Hitler transforma le cinéma et la propagande en instruments d’envoûtement collectif, sculptant l’imaginaire d’un peuple entier. Ce pouvoir visuel fit basculer le monde, prouvant que dominer les images, c’est déjà conquérir les consciences. Et nous perdons du temps à conquérir notre jeunesse de multiples scandales politiques, plutôt qu’avec des histoires qui rebâtiraient notre nation.
La jeunesse ne se transforme pas par les discours, mais par l’esthétique du désir. Par l’émerveillement du sens. Ce qu’elle contemple, elle finit par imiter. Ce qu’une société admire, elle le devient. Je ne nous apprends rien jusque-là ! Il faut quoi pour reconnaitre que la grandeur d’un peuple dépend de sa conscience collective ? Il faut des films qui donnent envie d’être meilleurs – non par devoir, mais par beauté. Le cinéma a donc une mission spirituelle et politique à la fois : rendre désirable la transformation. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer les maux sociaux ou de singer les succès étrangers, mais de fabriquer une beauté qui appelle à l’élévation. Un cinéma qui donne envie d’être lucide, courageux, créatif – pas seulement riche ou célèbre, qui attire l’œil pour révéler l’âme.
Les jeunes ne manquent pas d’énergie ; ils manquent d’images qui leur montrent vers quoi canaliser leur feu. Le film congolais doit redevenir miroir et prophétie, non pas propagande. Il doit séduire pour éveiller, fasciner pour reconstruire, comme « La vie est belle ». C’est faire naître l’amour du vrai, l’ivresse de la dignité, le vertige du dépassement, séduire et non pas manipuler.
Quand un jeune se reconnait dans une image qui l’élève, il cesse d’attendre un emploi ; il devient lui-même créateur de mone. Et la caméra, ici, devient un outil de transformation des consciences, pas seulement de production de films.
Le piège de la copie et de la contestation
Deux grands dangers guettent le cinéma africain naissant : le premier est celui de la copie occidentale, auquel moi-même j’ai été confronté. Produire des films qui singent le style, la morale et les obsessions d’Hollywood – où le héros triomphe sans transcendance, et où la liberté se confond avec l’absence de sens. Ces œuvres importent des modèles de vie consuméristes, relativistes, souvent vides d’âme et de lien social. Elles flattent la jeunesse sans jamais l’élever. Nous connaissons tous la perfection technique du cinéma occidental, mais qu’en est-il de son moral ? Détruit-il le nôtre ou le fait-il progresser ? Ce cinéma, avec tout le respect des grands artistes qui y excellent aussi avec des œuvres qui élèvent l’âme ; a produit une mythologie du moi sans racine : la liberté comme consommation de tout ce qui nous tombe dessus et flatte notre sensualité et notre égo, la réussite comme fuite, le sexe comme distraction. Et cette mythologie a infecté les imaginaires du Sud, pas que le Congo. Les jeunes ne veulent plus vivre, ils veulent se filmer en vivant, reproduire l’image d’une liberté qu’ils n’ont pas comprise.
Le second danger est celui du cinéma militant instrumentalisé, souvent financé par des idéologies inconnues ou des réseaux d’influence culturelle, où la caméra devient arme idéologique. Il ne fait que rejouer les luttes des autres, sur des fonds culturels mal traduits. Il dénonce, il s’indigne ; mais il n’engendre rien. En tout cas rien de concret dans les communautés assoiffées d’épanouissement moral, économique et spirituelle. Il s’agit souvent d’un bras culturel d’une diplomatie du ressentiment, une thérapie pour l’Occident coupable, pas une renaissance pour l’Afrique. Sous prétexte de libération, ces films capturent l’esprit critique de la jeunesse pour le mettre au service d’agendas diplomatiques, idéologiques ou culturels qui ne visent pas le bien commun (sauf en apparence), mais la conformité. Ce cinéma-là crée des indignés sans racine, des militants sans vision, des artistes sans peuples !
Enfin, un troisième piège guette – celui de l’exotisme mystique, importé des spiritualités occidentales ou néo-animistes, qui séduisent par le symbole mais oublient la mission. Il promet une paix intérieure pendant que les structures sociales s’effondrent. Il parle de lumière pendant que les villes s’assombrissent. Ce cinéma prétend élever l’âme, mais détache l’homme de la cité, le rendant contemplatif sans action, sage sans courage.
Le cinéma du Congo : un acte de réappropriation du réel
Le cinéma du renouveau congolais doit oser un autre chemin : celui d’un art enraciné, conscient, à la fois sensuel et spirituel. Il doit séduire la jeunesse par l’intelligence du réel, lui donner envie non pas de fuir, mais d’inventer. Faire du cinéma un instrument de réconciliation entre la beauté et la responsabilité.
Chaque film devrait être un acte de résistance à la paresse intellectuelle et à la dépendance culturelle. Chaque œuvre, une proposition de monde nouveau. Chaque réalisateur, un architecte d’âme.
Dans un pays où tant d’institutions échouent, le cinéma réussirait à enseigner le travail d’équipe, la rigueur, la temporalité du projet, la parole donnée. Un tournage, c’est un microcosme du développement : des ressources rares, des délais serrés, des tensions humaines, et la nécessité de produire du sens malgré tout.
C’est non seulement un cinéma qui parle, mais un cinéma qui aussi pense en lignala, swahili, tshiluba, français – mais surtout le langage du courage. Un cinéma qui rit de lui-même, mais ne se renie jamais. Qui montre les blessures, mais sans les idolâtrer. Qui rend à la jeunesse la fierté d’être les ingénieurs du destin congolais. Il ne s’agit pas de se montrer au monde, mais de se comprendre soi-même à travers l’image.
Les images comme armes du sens
L’arme du XXIe siècle n’est plus que le fusil : c’est l’image. Et l’avenir appartiendra à ceux qui savent fabriquer le visible. Le cinéma est le terrain le plus stratégique du développement : il enseigne la narration (donc la stratégie), la lumière (donc la lucidité), la production (donc l’économie), la mise en scène (donc la politique). Former des cinéastes, c’est former des ingénieurs du réel. Dommage que notre Etat n’a pas investi dans le Congolywood, alors qu’il prétend devenir l’Allemagne de l’Afrique : peut-être il nous faudrait un Hitler pour montrer l’importance de la Propaganda. Mais, nous ne nous en voudrons pas, car l’un des démons du Congo, c’est le manque de culture et de leçons utiles de l’histoire.
Quand un jeune apprend à tourner, il apprend à voir autrement, il doit fermer les yeux, et voir autrement. Comme le disait Djibril Diop Mambéty, « pour faire du cinéma, […] c’est très simple, à chaque fois que vous voulez voir la lumière, il faut fermer les yeux ». Le jeune qui apprend à tourner, il apprend donc à voir autrement : à cadrer, à écouter, à anticiper. Le cinéma devient un outil d’éducation esthétique et civique. Et par cette éducation, la jeunesse peut enfin redevenir le cerveau actif de la nation, non plus sa périphérie désœuvrée.
Un cinéma de renaissance et non de réaction
Le vrai cinéma congolais, celui dont je rêve certainement, ne sera ni militant ni mimétique : il sera initiatique. Ce cinéma enseignera la grandeur de la sobriété, la beauté de la discipline, la noblesse du collectif. Il parlera d’amour non comme passion destructrice, mais comme force créatrice, du travail non comme esclavage, mais comme spiritualité du faire, de la terre non comme décor, mais comme héritage sacré. Il ne dénoncera pas seulement la pauvreté, mais enseignera la fécondité. Il ne chantera pas la liberté individuelle comme une fuite, mais la liberté d’accomplir. Il ne glorifiera pas le passé mythique ni ne pleurera l’esclavage – il dessinera le futur plausible. Il parlera d’amour, de science, de travail, de spiritualité, d’entrepreneuriat, de citoyenneté, de fraternité. Un art qui croit encore que le beau peut sauver, que le vrai peut guérir, que le jeune peut bâtir ; et dans ses récits, le Congo apparaitra non comme une plaie, mais comme un tatouage de l’avenir. Il fera de notre pays non pas un décor de misère ou d’exotisme, mais le laboratoire d’un humanisme neuf.
L’Eden Visuel : séduire pour éveiller
Le cinéma du Congo doit inventer une esthétique du renouveau : une manière de filmer la joie, la douleur, la foi, la fierté, sans tomber dans le folklore ni dans la plainte. Il doit séduire la jeunesse par la beauté de l’intelligence. Un espace où la jeunesse congolaise apprendra à désirer la grandeur, à aimer la discipline, à honorer la création. L’objectif n’est pas d’occidentaliser la culture, ni de replier l’Afrique sur elle-même, loin de là ! Mais de rendre contagieuse la beauté de la responsabilité. De créer des films qui donnent envie de bâtir, de penser, d’aimer mieux. Des films qui séduisent non par le scandale, mais par la profondeur ; qui éveillent non par la peur, mais par la lumière ; qui rassemblent non par le slogan, mais par la vision.
C’est ce cinéma-là – lucide, enraciné, contagieusement noble – qui fera du Congo l’Eden cinématographique du XXIe siècle. Le Congo, riche de ses contradictions, deviendra ainsi le Eden du sens : là où l’image ne consomme plus l’âme, mais la fertilise.
Le jour viendra où les archives du monde se souviendront : le renouveau du Congo n’aura pas commencé dans les mines, mais dans une salle obscure, là où une génération a décidé de refilmer sa propre dignité. Et l’on dira alors :
« Le cinéma africain a séduit le monde, parce qu’il a d’abord su séduire sa jeunesse avec la promesse du sens ».
0 Comments